« La plupart des violences exercées sur les femmes est le fait du mari ou du partenaire » (Awa Nguer Fall, Pasneeg)

Ce 25 novembre est la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Le Sénégal, depuis 2005, a adopté la Stratégie nationale pour l’équité et l’égalité de genre. Le projet d’appui à la Stratégie nationale pour l’équité et l’égalité de genre (Pasneeg) est venu en appoint pour appuyer le ministère de la famille et des solidarités.

Sa coordonnatrice Awa Nguer Fall revient dans cet entretien sur la problématique et les actions que mène la structure dans le cadre de la lutte contre les VBG.
 
lesnouvellesdafrique.info (LNA) : En 2024, on parle toujours de violences faites aux femmes. Quel regard portez-vous sur cet État de fait en tant que coordonnatrice du Pasneeg ?

Awa Nguer Fall : c’est une problématique qui reste prégnante malgré les efforts du gouvernement. Ces violences constituent non seulement un obstacle majeur à la pleine participation des femmes dans la vie politique, économique et culturelle, mais aussi une entrave à l’accroissement du bien-être familial, au progrès économique et social, à la justice sociale et à la paix. Aujourd’hui, dans notre pays, les cadres d’expression des VBG (violences basées sur le genre) sont à la fois la famille, la communauté, l’environnement social, les lieux de travail, voire même l’État. Par l’État, je veux parler de la promulgation de lois souvent discriminatoires non appliquées qui protègent la femme et les filles. Ces violences basées sur le genre revêtent différents aspects : elles sont physiques, sexuelles, économiques, psychologiques et morales, et celles provenant de pratiques culturelles néfastes telles que les mariages d’enfants ou l’excision.
La non dénonciation, les pesanteurs culturelles et même des facteurs de légitimation culturelle tendant à justifier les violences aussi bien du côté de l’homme que de la femme sont autant de paramètres qui l’expliquent. En 2019, les résultats de l’enquête démographique sociale ont indiqué que la plupart des cas de violences exercées sur les femmes est le fait du mari ou du partenaire. Nombre d’elles (les femmes) légitiment malheureusement ces violences. Mieux, il nous est revenu que 99,3 % des femmes n’ont jamais cherché de l’aide et n’en ont jamais parlé à personne. C’est dire que cela constitue un véritable fléau mondial que l’on  doit vraiment combattre.

LNA : quelles sont les actions que mène le Pasneeg dans le cadre de la lutte contre les VBG (violences basées sur le genre) ?

Awa Nguer Fall : Beaucoup d’actions sont menées par le Ministère de la famille et des solidarités. D’abord elles sont stratégiques. Ce sont des politiques nationales à travers la Sneeg. Il y a aussi un plan d’action national d’éradication des violences et de promotion des droits humains. Mais aussi, il existe plusieurs lois et règlements, dont la dernière est celle relative à la criminalisation du viol et de la pédophilie. Sauf que malgré tout cela, le phénomène persiste. Nous faisons beaucoup de sensibilisation sur le problème, notamment des renforcements de capacités, mais aussi le ministère a posé des mécanismes de prise en charge en cas de survenue de ces violences. D’ailleurs, c’est dans ce cadre que nous avons noué un partenariat stratégique et opérationnel avec l’association des juristes sénégalaises (AJS) avec la mise en place de cinq boutiques de droit à Pikine, Kaolack, Kolda et Sédhiou. Ces boutiques servent d’accueil, d’orientation et de prise en charge juridique et judiciaire des cas de violences. Aussi, le ministère a mis en place depuis deux ans (le 25 novembre 2022) une plateforme dénommée Wallu Allo 116. Il s’agit d’un numéro vert d’accueil gratuit anonyme pour des cas de dénonciation des victimes de violences, accessible 24 h/24, 7 jours/7.

LNA : Pouvez-vous nous dire si d’autres acteurs font partie de cette lutte contre les VBG comme les boutiques de droit ?

Awa Nguer Fall : Comme je viens de le dire, le phénomène est sous-sectoriel et fait entrer en jeu plusieurs secteurs et acteurs. Au niveau du Pasneeg, nous avons mis en place des réseaux d’acteurs parce qu’il existe beaucoup d’intervenants. D’où l’importance d’une synergie d’actions pour plus d’efficacité. C’est pourquoi nous sommes en partenariat avec le ministère de la justice, notamment avec les maisons de justice, quant à la prise en charge dans les cas où dans la zone d’intervention il n’y a pas de boutique de droit. Aussi nous faisons le renforcement des capacités des acteurs impliqués dans le système de prise en charge : ils sont communautaires, les « badiènu gokh » (femme leader au sein d’un quartier ou d’une communauté qui joue un rôle de médiation et de conseil), des para juristes, autres acteurs communautaires. Il y a aussi le milieu judiciaire comme les magistrats et les avocats, les officiers de police judiciaire, le personnel sanitaire, le monde scolaire, je veux dire énormément d’acteurs qui interviennent.

LNA : Par quelle autre stratégie passez-vous aussi ? 

Awa Nguer Fall : nous élaborons aussi par un plan stratégique de communication pour le changement de comportement. Vous savez, la plupart des violences proviennent de nos pesanteurs culturelles, de nos us et coutumes qui, pour la plupart, légitiment ces violences. C’est pourquoi nous utilisons une communication pour le grand public, une autre ciblée à l’endroit des jeunes, des religieux ou des leaders communautaires. Ça peut être au niveau des établissements scolaires qui constituent parfois des lieux de production de violences.

LNA : Avez-vous une idée des statistiques sur le taux de femmes qui subissent des violences au Sénégal ? Des avancées sont-elles notées ?

Awa N. Fall: À l’heure actuelle, il serait difficile d’avoir des statistiques globales coordonnées. Comme je vous l’ai dit tantôt, nous avons plusieurs intervenants, plusieurs acteurs, plusieurs portes d’entrée. C’est toute l’utilité de la plateforme Wallu Allo 116 qui sert de dispositif d’informations et de statistiques fiables.

Néanmoins, les boutiques de droit, partenaires du Pasneeg, ont reçu en 2023 plus de 2200 consultations juridiques, dont 91 % de femmes avec une tranche d’âge de 11 à 65 ans. Parmi ces consultations, 73 % ont eu lieu dans la banlieue dakaroise à Pikine. Le 1/4 des motifs d’appels sont des questions liées à des violences, notamment physiques, psychologiques et sexuelles. Il est important de savoir que la plateforme, depuis sa création, a reçu plus de 15 000 appels avec près de 2000 cas de violences. Ce qui dénote de l’ampleur. Et ce n’est que celles répertoriées par Wallu allo 116 et les boutiques de droit.
Le ministère a aussi initié une étude avec l’appui des partenaires techniques et financiers pour avoir une situation de référence et de pouvoir documenter cela annuellement. L’objectif est d’avoir des statistiques fiables et de les consolider. Il faut savoir aussi que les statistiques constituent un défi énorme.

Beaucoup d’efforts dans la dénonciation ont été faits. Ils se traduisent par la plate-forme qui reçoit en moyenne 100 appels par jour, même si tous ne sont pas liés à des problèmes de violences. Mais de plus en plus, les communautés sont assez sensibilisées dans la dénonciation des violences. Je peux dire que les efforts du gouvernement, de la communauté, des organisations de la société civile sont en train de porter leurs fruits, car nous recevons de plus en plus de dénonciation.